lundi 10 octobre 2011

« La Téchouva est très loin des définitions réductrices qu'on lui donne »

Interview du Rav Neugershel par Laly Derai
parue dans Hamodia N° 188 du 05 octobre 2011

- Hamodia : Rav Neugershel, nous approchons de Yom Kippour et la Téchouva est sur toutes les bouches. Pourtant, on a l'impression que lorsqu'on parle de « Hazara Bitéchouva ou de Baal Téchouva, on parle généralement de quelqu'un de non religieux qui renoue avec la pratique des mitsvot. Qu'en est-il vraiment ?

- Rav Neugershel : En premier lieu, je crois qu'il y a un réel besoin de rectifier et de redéfinir certains concepts qui, dans notre monde médiatisé et simpliste, sont mal compris et mal interprétés. De nos jours, les Baalé Téchouva sont devenus un mouvement et la Téchouva a pris une connotation politique. Or, la Téchouva se situe très loin de ces définitions réductrices. La Guémara nous enseigne que rabbi Elazar, fils de Rabbi Shimon Bar Yo’haï, revenu d'En-Haut, a raconté qu'il avait vu « un monde à l'envers », dans lequel ceux qui étaient considérés dans notre monde comme des grands étaient en bas et ceux qui étaient en haut étaient justement ceux qui n'étaient pas forcément les personnes les plus respectées. Nous ne savons pas la faute de qui est la plus grave : celle du ba'hour yéchiva qui ne respecte pas son épouse ou celle du jeune homme issu d'une famille pauvre qui commet un hold-up. La Téchouva n'est sûrement pas l'apanage d'une seule partie de la population. Nous vivons dans un monde qui a décidé que celui qui commet tel ou tel péché sera appelé « non-religieux » tandis que celui qui en commet d'autres, mais a, disons, la kippa sur la tête est « religieux ». Le fait que certaines fautes soient devenues « légitimes » est un constat de faiblesse.

- Hamodia : On parle souvent de Téchouva par amour face à la Téchouva par la crainte. Où vous situez-vous dans votre discours ?

- Rav Neugershel : Tout d'abord, je ne me considère pas comme un ''Ma'hzir Bitéchouva « , quelqu'un qui fait revenir les Juifs non pratiquants à la Torah. Lorsque quelqu'un fait Téchouva, il ne prie pas le conférencier ou le rav qui l'a mené dans cette vois. Il prie D.ieu ! Les rabbanim sont là pour aider, pour éveiller les consciences, pour guider, mais c'est Hachem qui, seul, est Ma'hzir Bitéchouva, comme nous prions chaque jour dans la Amida.
En ce qui concerne votre question, je ne sais pas vraiment si je me place dans ce schéma. Ce que je sais, c'est qu'il existe une Téchouva du cœur et une Téchouva de l'intellect. Les Sages posent une question : pourquoi fêtons-nous Roch Hachana avant Yom Kippour ? N'eût-il pas mieux valu que nous nous purifiions et nous nettoyions de nos fautes (ce que nous faisons à Kippour) avant d'être jugés à Roch Hachana ? Ils répondent que Roch Hachana est le jour du Daat, de la Téchouva par l'intellect, tandis que Yom Kippour est celui de la Téchouva par le cœur. Le processus part du cerveau pour se diriger vers le cœur.

Certains font le voyage inverse, commencent par la Téchouva du cœur avant de se lancer dans le chemin de la Téchouva par l'intellect. Ces deux méthodes sont justes tant que la personne ne se confine pas à une Torah totalement intellectuelle - sèche et distante - ou a contrario à une Torah qui ne serait basée que sur les sentiments et le ressenti, car pour que le Juif s'imprègne de la Torah, il doit forcément lui donner une assise dans son intellect.

D.ieu a placé le cerveau au-dessus du cœur, car c'est le cerveau qui '' tient le volant. "Il faut se garder de laisser le cœur prendre le volant et mener l'intellect "

- Hamodia : Au cours du mois d’Eloul, on a vu des centaines de Juifs qui ne fréquentent pas forcément la synagogue avec assiduité ou qui ne portent pas la kippa 24h/24 réciter les Seli’hot avec ferveur. Ces Juifs sont majoritairement issus du monde séfarade. Comment expliquez-vous que le judaïsme séfarade soit parvenu à sauvegarder une Emouna intacte, sans rapport avec le degré de pratique des mitsvot tandis qu'au sein du judaïsme ashkénaze, il faut forcément ' choisir son camp ' ?

- Rav Neugershel : Je crois qu'on cause un grand tort aux Juifs séfarades qui aiment la Torah à un point qu'on peut à peine imaginer. Ils aiment tellement la Torah qu'ils sont prêts à entendre tout ce qui possède un parfum de Torah. Chaque année, à Roch Hachana, je me rends dans une synagogue séfarade du quartier de Moussayof à Jérusalem. Durant toute la fête, on peut y voir des centaines de fidèles assister à des cours de Torah quasiment sans interruption. Je suis le seul Ashkénaze...

Mais il nous est interdit de profiter de cet amour pour leur transmettre des cours simplistes et ' au ras des pâquerettes '. Au contraire ! Ils méritent une Torah élevée, grande, pertinente.

Cet amour pour la Torah et les Sages est le fruit d'une éducation transmise de génération en génération depuis des siècles. Le rabbi de Brisk avait d'ailleurs affirmé que les Séfarades avaient été préservés des horreurs qui se sont déroulées au siècle dernier en Europe parce qu'ils respectaient la Torah et les Ha'hamim. 

mardi 13 septembre 2011

La visite impromptue


L’autre jour, armé de bonnes intentions, je me suis rendu dans une des maisons de retraite de la région.

J’ai demandé au personnel s’il y avait là une personne âgée, seule, francophone de préférence, qui ne recevait pas souvent de visite. Ben oui quoi, c’est pas parce que vous me voyez toujours dire du mal que je ne fais jamais de choses bien.

L’infirmière m’indiqua donc un vieux monsieur portant kippa, assis dans un fauteuil, les yeux perdus dans ses pensées. Je me suis dirigé vers lui. J’ai pris une chaise et je me suis assis à ses côtés.
On a commencé à bavarder. Il a été surpris d’entendre que je parlais français. Et il a commencé à me raconter. Et il parlait, parlait. Ca se voyait que ça ne lui arrivait pas souvent.
Je lui donnais le change, et ça le relançait de plus belle.
Il me confia alors que ça lui faisait plaisir de parler car personne ne venait jamais le voir.
Je lui demandais s’il connaissait du monde en Israël.
« Bien sur » me répondit-il « J’ai beaucoup de famille dans tout le pays. Des cousins, des neveux et des nièces. Des gens très bien. Mais ils ont leur vie. Ils sont très occupés », me confia-t-il.
Quand il me dit son nom, je me rendis compte que je connaissais effectivement cette famille. Des gens très bien en effet. Des actifs, des respectables, des qui étudient, des qui prient, des qui souillent roche, et mêmes des qui enseignent la torah.
Par le plus grand des hasards, il se trouve que je venais de tous les rencontrer à une azkara qu’ils avaient organisé quelques jours auparavant, en souvenir d’un de leurs disparus.

Après une heure passée avec ce monsieur, je prenais congé de lui, lui serrant sa main entre les miennes. Ca n’a l’air de rien, mais je vous assure qu’il y a des petits gestes comme ça qui peuvent guérir les plus grandes blessures. Je lui disais au revoir en lui promettant qu’au hasard de mes visites, je repasserais le voir. « Promis, promis », lui dis-je, pour que cela devienne un engagement pour moi.

Avant de partir, je demandais à l'infirmière qui me confirma que personne ne venait jamais le voir.

Bien que la visite se soit bien passée, je quittais la maison de retraite avec le coeur lourd.

Parce que je repensais d’un côté à toute cette famille exemplaire que j’avais vu réunie à la azkara, et de l’autre côté, à ce petit vieux jeté dans son coin.
Et je me demande comment se fait-il qu’on arrive à trouver le temps de se réunir un jour précis à une heure précise, et qu'on ne trouve pas un moment, juste une heure à notre convenance, n’importe quand dans l’année pour venir rendre visite à un parent isolé.

Comment se fait-il qu’on ne manque pas de faire honneurs aux disparus mais qu'on oublie si souvent les vivants ?
Qu’est-ce qu’on attend ? Qu’ils soient morts pour se réunir et manger des cacahuètes ?

Quelquefois comme ça, j'ai l'impression que la torah est mal faite. Ou alors, c'est que nous devons l’appliquer mal.

le CLI

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mercredi 17 août 2011

Mariage séparé : pour qui ? Pourquoi ?


J’étais dernièrement à un mariage.
Le marié était superbe, et la mariée merveilleuse.
Ils sont arrivés radieux sous la houpa.
La cérémonie était très émouvante.
Après le traditionnel « mazal tov », quelques danses et embrassades, chacun était invité à rejoindre sa place dans la salle : Les hommes d’un côté et les femmes de l’autre.

Ce n’était pas la première fête avec séparation à laquelle je me rendais, mais cette fois je choisissais de ne plus cautionner. Je profitais de mes voeux à la famille et aux mariés pour invoquer une excuse non conflictuelle et prendre discrètement congé de mes hôtes, tout à fait charmants au demeurant. Je n’aurai même pas connu mes compagnons de table, puisque de compagnonnes, fallait pas y compter.

Il y a quelques jours, c’était l’anniversaire de mariage de mes parents.
Mon père et ma mère se sont rencontrés à la noce de mon oncle et de ma tante.
Ils se sont vus, se sont plus, ils se sont aimés (je suppose, dès fois j’ai des doutes), et dans la foulée, je suis né. Et combien d’autres comme moi ?

Souvenez-vous. On a tous dans nos familles des couples qui se sont formés lors d’une de ces fêtes, mariage, bar mitsva, ou autre.
Regardez autour de vous, et comptez combien de gens ne seraient pas vivants aujourd’hui si on avait séparé les hommes des femmes là ou justement Dieu avait prévu que leurs parents se rencontrent.

Pourquoi alors séparer ?

Le monde fut créé en six jours. Chaque jour de la création, Dieu considéra que c’était bien (וירא ה' כי טוב) sauf au second jour. Car ce jour là, nous explique le midrash, il y eut séparation.

J’ai demandé plusieurs fois pourquoi donc imposer une séparation aux mariages. L’explication reçue est invariablement la même : la mise en présence d’hommes et de femmes peut créer des tentations. Quand je rappelle que les tentations sont partout dans la vie, j’entends souvent dire qu’étant assis à la même table, la promiscuité et l’alcool peuvent faire naître des idées peu…raisonnables.

Peut-être parlent-ils de la promise cuitée, dans ce cas je comprendrais que ça puisse faire désordre à un mariage. Et pourtant, si le mal provenait de l’alcool, ne serait-il pas plus simple de le supprimer des festivités plutôt que d’imposer une division des participants ?

Les rabbanim nous enseignent qu’on doit juger son prochain avec un à priori positif (lékaf srout). Pourquoi soudain lors d’un mariage, les invités sont considérés comme des obsédés sexuels potentiels ?

Dieu promit à Avraham de ne pas détruire Sodome et Gomorrhe, si elles renfermaient dix justes. Et à Sodome et Gomorrhe, les habitants étaient loin d’être des saints !

Est-ce que dans les mariages d’aujourd’hui, il n’y aurait même pas dix hommes qui seraient capables de ne pas se jeter sur leurs voisines comme de vulgaires dépravés ? Ou alors, devient-on plus exigeant que Dieu, punissant collectivement par anticipation toute l’assemblée, séparant les familles et les couples, empêchant à de nouveaux couples de se former et à des bébés de naître?

Et je ne parle même pas des quantités de zéra lébatala comme conséquence de ces non-rencontres. Mais voilà. Le zéra lébatala ne se voit pas, il se déverse généralement en cachette. Par contre, la séparation hommes-femmes est publique, elle se fait aux yeux de tous. Et c’est là toute son importance. Aujourd’hui, il semblerait que paraître soit préférable à être. La torah de l’intériorité c’est fini, vive la torah spectacle ! Ajoutons et montrons ! Les signes extérieurs de religiosité rendent les gens tellement plus respectables.

Quand Pharaon exigea de tuer tout nouveau-né mâle hébreu, Amram, futur père de Moshé, demanda alors au peuple de ne plus procréer, pour ne pas avoir à sacrifier les garçons.
Quand sa fille Myriam lui fit remarquer que sa décision était pire que celle de Pharaon car, de fait, il sacrifiait aussi les filles, Amram reconnut le bien-fondé de la remarque et il  revint sur sa recommandation.
Les Hébreux recommencèrent à procréer, et c’est ainsi que put naître Moshé.

Est-ce à notre tour d’empêcher à des enfants de naître par crainte que des convives aient de mauvaises pensées ? Au fond, est-ce vraiment les convives qui ont de mauvaises pensées ?

Combien de temps allons-nous continuer à reproduire la faute de Nadav et Avihou, à offrir à Dieu des sacrifices qu’Il n’a pas demandé ?

Peut être devrions-nous éviter de voir le mal là où il n’est pas, sinon, c’est nous qui le créons. Et s’il pointe tout de même le bout de son nez, pourquoi céder spontanément à la tentation de lutter contre ce mal par un autre mal encore plus grand ?

Et si nous faisions simplement notre travail sans vouloir empiéter sur celui de Dieu ? Il sait certainement ce qu’Il fait et ce qu’Il nous demande. « N’ajoutez rien…et ne retranchez rien » (Dévarim 4,2)
C’est l’enseignement de la torah, à appliquer quand on a la émouna.

Quand je pense que si le mariage où mes parents se sont rencontrés avait été séparé, je ne serais pas là pour vous embêter. C’eût été dommage, non ?

Que la clairvoyance de Myriam et l’humilité d’Amram éclairent encore notre peuple :
Ils ont permis à Moshé de venir pour nous sauver de l’esclavage.
A nous de permettre au mashiah de venir pour nous guider vers la guéoula.

le CLI

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dimanche 31 juillet 2011

Comme d’habitude

Vendredi soir comme d’habitude, à l’entrée de shabbat, j'ai été à la synagogue.
Nous avons fait une belle prière.
Tout le monde s’est dit « shabbat shalom ».
Chacun est rentré chez soi.
 Je suis aussi rentré chez moi et j’ai fait le kiddoush seul.

Samedi matin comme d’habitude, je suis retourné à la synagogue.
Nous avons fait une belle prière.
Le rabbin a fait un très beau cours où il expliquait que le peuple juif était une grande famille.
Tout le monde s’est dit « shabbat shalom ».
Chacun est rentré chez soi.
 Je suis aussi rentré chez moi et j’ai fait le kiddoush seul.

Samedi soir, à la sortie du shabbat, je me suis rendu dans le centre de Tel-Aviv pour m’y promener.
Mes pas m’ont mené sdérot Rothschild, là où un village de tentes a pris place récemment en signe de protestation contre les prix élevés de l’immobilier.
Au détour d’une tente, on me proposa un verre de vin.
Etant donné que celui qui avait ouvert la bouteille n’était pas shomer shabbat, je déclinais l’offre pour lui préférer un verre de Coca.
On a commencé à discuter. Orit* s’est jointe à nous.
Un autre est arrivé avec sa guitare.
Orit s’est assise à coté de moi. Le cercle s'est agrandi. On a parlé, on a chanté, et on n’a même pas pensé à s’embrasser, bien que ce ne soit pas les Champs-Élysées.
L’ambiance y était fraternelle.

Et je repensais aux paroles du rabbin. Combien il avait raison quand il disait que nous étions une grande famille.

« Qu’elle sont belles tes tentes, ô Yaacov ! Tes demeures, ô Israël. » (bamidbar 24,5)

Le CLI

 *le nom a été changé

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dimanche 24 juillet 2011

Le mashiah est arrivé ce shabbat


Enfin !!
Depuis le temps qu’on l’attendait, il est enfin arrivé.
"Les hommes te réclament ", lui a-t-on dit là-haut, " il est grand temps que tu y ailles ".
Il est donc arrivé ce dernier shabbat.
C’était le matin. Le soleil brillait déjà de tous ses feux.
Après avoir déambulé dans les rues calmes, l’envoyé du ciel remarqua des passants qui s’en allaient d’un pas alerte vers l’une des grandes battisses marquées d’une belle étoile de David.
Il les suivit. Il entra après eux.
Il s’assit sur une chaise.
Il observa la scène en se délectant des beaux chants à la gloire de Dieu.
Puis il ferma les yeux pour mieux ressentir la profondeur de la foi de ce peuple de retour sur sa terre après 2000 ans d’exil.
Puis les chants se sont arrêtés.
Le mashiah gardait les yeux fermés pour prolonger ce moment de sainteté intense et de communion avec l’assemblée. Il sait maintenant qu’il va accompagner ce peuple vers la reconstruction imminente du troisième temple.
Dans ce qui ressemble à une méditation, il commençait déjà à transmettre les secrets du ciel aux esprits des personnes présentes alentour.
Soudain une voix venue du centre de la salle le sortit de sa torpeur.
" 100 shekels. ....
120. 150 shekels. 150 shekels une fois. 150 shekels deux fois."
Le mashiah ouvrant les yeux demanda à son voisin.
"- Mais qu’est-ce qu’ils font ?
-Eh ben, ils vendent les mitsvot," lui répondit-il.
"-Comment ?"
"-Ben, tu connais pas ? Ils vendent les mitsvot."
"-Ils vendent ? Mais c’est shabbat", répliqua le mashiah.
"-Oui, mais c’est autorisé. Ce sont les mitsvot liées au sefer torah."
"-C'est-à-dire ?"
"-Ben, celui qui donne le plus, c’est lui qui va accomplir la mitsva."
"-Ah bon ?"
"-Ben oui, c’est comme ça."
"-Ah bon."
Le mashiah jeta alors un regard sur l’assemblée.
Puis il se leva discrètement, et se dirigea vers la sortie de la synagogue.
Une fois dehors, avant de s’évanouir dans le dédale de rues, il murmura :
"Je reviendrai plus tard, quand ils seront sérieux ".

Le CLI

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